Léo Ferré

 

La nuit

 

C'est ma frangine en noir

Celle que j'appelle bonsoir

C'est un gars qu'a son bien

Dans le bistrot du coin

La nuit

C'est le bourgeois qui se profile

Sous l'oeil des filles de ville

Qui croit que c'est arrivé

Et qui paie pour monter

La nuit

C'est cette dame qui s'en va

Donner sa langue au chat

Et mêle à ses dentelles

La tendresse des gamelles

La nuit

C'est un amour qui meurt

Aussitôt qu'il se fait

C'est mille ans de bonheur

Dans un baiser vite fait

C'est cette môme que a perdu

La seule fleur qu'elle avait

Des fois qu'on la retrouverait

La nuit... la nuit...

 

C'est le soleil du soir

Qui enfile son peignoir

Dans son arrière boutique

Sous des becs électriques

La nuit

C'est le voleur qui va faire

Des heures supplémentaires

Et qu'est pas tatillon

Sur les allocations

La nuit

C'est cet homme qui s'en va

Sa Rolls au bout des bras

Et mêle à ses ficelles

Le trésor des poubelles

La nuit

C'est des chevaux qu'on amène

Au derby des côtelettes

Des moutons qui se promènent

Du côté de la Vilette

C'est un soldat traqué

A sa dernière ronde

Et qui compte les années

Comme on compte les secondes

La nuit... la nuit...

 

C'est une copine qui vend

Ce que d'habitude on prend

Et qui pour cent sous de plus

Se met sens dessous dessus

La nuit

C'est un chouette courant d'air

Pour les amours pas chères

Un petit hôtel furtif

Pour les minitarifs

La nuit

C'est le mec qui transite

Tout sauf de l'eau bénite

Et mêle à ses hoquets

Le parfum du beaujolais

La nuit

C'est cet homme qui se promène

La nuit en plein midi

Et sa canne qui l'entraîne

Dans les autos de paris

C'est cet homme qu'a pas vu

La pitié qui passait

Et qu'attend dans la rue

Des fois qu'on lui inventerait

Le jour... le jour

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Léo Ferrè - La nuit